Difficile de mettre une étiquette sur François Lepage. Même son identité fait débat : à la suite d’une erreur sur le communiqué de presse, certains medias ont affirmé que son nom – pourtant bien connu dans le milieu universitaire où il enseigne depuis presque 30 ans – était un pseudonyme. Professeur de logique à l’Université de Montréal, ce passionné de philosophie et de mathématiques publie son premier roman, Le Dilemme du prisonnier, chez Boréal.
François Lepage est d’une ponctualité mathématique. Il entre dans la Brûlerie Saint-Denis un sac Renaud-Bray à la main, qui contient le roman que sa femme vient de publier, ainsi que le dernier Orhan Pamuk, un auteur qu’il admire sans réserve. Amateur de littérature, il dit avoir toujours eu le désir d’écrire, mais jamais le temps, pris dans ses activités universitaires – il est professeur de logique, une discipline qui conjugue son goût pour la philosophie et les mathématiques. Toujours entre deux cases, ce québécois a écrit un roman philosophique qui se déroule entre la France, les États-Unis et l’Afghanistan.
Un roman à thèse
Le Dilemme du prisonnier doit son titre à un théorème analysant le comportement d’un individu devant un choix qui engage la coopération d’autres personnes : choisit-on l’option la plus sûre du point de vue de son intérêt personnel, ou va-t-on faire confiance à la communauté pour, collectivement, s’en sortir au mieux? De cette problématique complexe, François Lepage a tiré une « fable philosophique », selon sa définition, qui met en scène quatre personnages confrontés à une succession de « dilemmes » opposant individualisme et solidarité. Selon lui, ce type de choix est omniprésent dans notre vie quotidienne : que ce soit quand on fait l’effort de recycler nos déchets ou quand on va voter, gestes contraignants pour nous et qui n’ont de sens que si chacun les fait. Le Dilemme du prisonnier met donc, de façon ludique, une théorie clé du comportement à la portée du plus grand nombre. Cependant, comme il l’a lui-même constaté, certains lecteurs ont été rebutés par l’aspect trop conceptuel du livre. On lui a notamment reproché de n’avoir pas assez creusé ses personnages. Mais, loin de s’en défendre, l’auteur revendique l’absence de psychologie de ses héros : « les romans d’amour intimistes, je ne suis plus capable! » Il prend comme exemple les personnages mythiques comme Œdipe pour justifier sa propre démarche : ce qui compte, ce n’est pas le caractère du héros, mais la situation dans laquelle il se trouve, et les choix qu’il fait pour avancer. Tant pis si le lecteur en quête de dilemmes sentimentaux n’y trouve pas son compte : ce qui intéresse François Lepage dans l’écriture, c’est de « s’adresser l’intelligence du lecteur », ce qui n’exclut pas selon lui une certaine émotion.
La littérature à coups de marteau
François Lepage se place dans une tradition littéraire en porte-à-faux par rapport à ce qui se fait aujourd’hui au Québec. Comme modèles, il cite Amadou Kourouma, Agota Kristof, et surtout, Houellebecq. Il partage d’ailleurs avec l’auteur des Particules Élémentaires le goût de la provocation, au point de reprendre, en exergue d’un chapitre, une fameuse phrase de l’écrivain français : « l’islam est quand même la religion la plus con ». Pensant au scandale qu’avait provoqué cette déclaration, François Lepage s’inquiète des reculs de la liberté d’expression en Occident, et a voulu dans son livre parler sans autocensure, y compris de religion. À partir de la théorie du dilemme du prisonnier, l’un des personnages, chercheur aux États-Unis, avance l’idée que le Coran serait une meilleure Constitution que celles des pays démocratiques. Sous des allures de rigueur scientifique, François Lepage ne s’interdit pas quelques provocations : mais, d’un côté comme de l’autre, personne n’est épargné. Si le mollah Afghan du roman est pour le moins renvoyé à sa barbarie, les États-Unis, pris dans la paranoïa anti-terroriste, n’en sortent pas indemnes. Et même le Canada, pourtant grand absent du récit, en prend pour son grade. Alors que le chercheur persécuté vient chercher refuge au Québec, il se heurte à une douanière particulièrement obtuse. Détail qui n’en est pas un, elle bénéficie d’un accommodement raisonnable lui permettant de porter des pantoufles Snoopy au travail. Même si les ressorts du roman de François Lepage ne sont pas toujours des plus subtils, il a le mérite d’interpeler le lecteur et de le pousser à se positionner. À réfléchir sur ses choix, ce qui, finalement, est l’objet de ce livre.
Article paru dans Quartier Libre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire