Difficile d'aborder BHL sans préjugés. De même, pour lui, de parler de Sarkozy sans parti-pris. C'est pourtant d'une réflexion née d'une remarque de l'actuel président sur l'état de la gauche que part son dernier essai, Ce grand cadavre à la renverse.
Après Toqueville, BHL se réapproprie la démarche sartrienne, et entreprend de remettre les pendules de la gauche à l'heure. En passant, il en fait l'histoire, qui tend à se confondre avec son "autobiographie intellectuelle", comme l'appelle pudiquement son éditeur. S'il part de constats sur la campagne de 2007, il s'en échappe rapidement, non sans distribuer au passage quelques claques dans le camp des chevènementistes, responsables selon lui de la défaite de Royal.
Il va être très difficile de dégager les bons passages des mauvais sans tenir compte de mes propres a priori: avouant donc ma subjectivité, je dirai que les 100 premières pages - qui posent une définition forte de la gauche, j'y reviendrai - et le dernier chapitre, sur l'Universel, sont tout à fait convaincantes et utiles. Il y attaque de front l'idéologie de la "tyrannie de la repentance", telle qu'on la trouvait chez Bruckner et, bien sûr, dans la campagne de Sarkozy. La mémoire, la mémoire coupable par dessus tout, est essentielle pour ne pas reproduire les erreurs du passé: mémoire de la colonisation, mémoire du nazisme, de l'anti-dreyfusisme, de la complaisance de la gauche vis-à-vis du stalinisme. On trouve de très belles pages sur les "innocents coupables", ces consciences qui endossent le sentiment de culpabilité des crimes dont ils ne sont pourtant pas responsables, parce que ce sont ceux de l'humanité. Il n'y a pas de repentance excessive, souligne BHL, dans la mesure où reconnaître ses crimes n'efface en rien ceux des autres: ce discours me semble non seulement courageux mais aussi salutaire... Il conclut en définissant le paradigme des valeurs de gauche: anti-dreyfusisme, anti-vichysme, anticolonialisme, Mai 68.
Je fais le pont jusqu'au dernier chapitre, qui reprend en un sens ces valeurs pour les porter au niveau de "l'Universel": là encore, son argumentation contre le relativisme culturel, cache-sexe de la lâcheté de nos sociétés quand il s'agit de se porter au secours des opprimés dans le monde, me paraît aller dans le bon sens.
Au milieu, trois cents pages très inégales: des longueurs, souvent biographiques, des passages discutables ("l'antiaméricanisme est une métaphore de l'antisémitisme": on a envie de retourner le miroir qu'il tend, en partie à raison, aux conspirationistes anti-américains pour qu'il modère sa tendance un peu paranoïaque à tout ramener à l'antisémitisme...), voire franchement de mauvaise foi (il n'y aurait pas d'intégrisme juif; Israël est une chance pour les pays de la région qui devraient se réjouir de bénéficier d'un îlot de démocratie moderne...) ou tout simplement caricatural (sur le non de gauche à l'Europe, entre autres, je crois qu'on ne connaît pas la même extrême-gauche..)
Un essai utile, car il permet de se positionner, de faire le tri dans ses/ces valeurs, de gauche ou plus exactement humaniste - car il n'est ici question que d'éthique, pas de politique ni d'économie, encore moins de social. Pas toujours agréable à lire, le dérangeant "auteur de la Barbarie à visage humain" (c'est ainsi qu'il se désigne!) a au moins le mérite de faire son travail d'intellectuel et de poser sur la table des négociations des idées qui, si on prend le temps d'y réfléchir, feront avancer le débat à gauche comme à droite.
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