samedi 8 mars 2008

Katia Belkhodja, à fleur de peau

La peau des doigts commence par ces mots : « j’ai ta chair arrachée entre les dents ». Pourtant, au premier abord, Katia Belkhodja ne ressemble pas à son livre : chaleureuse, elle cache sa timidité derrière de grands éclats de rire. Cette montréalaise d’origine Algérienne, étudiante au baccalauréat en littérature à l’Université de Montréal, publie son premier roman chez XYZ.


Dans l’entrée du Caféo, sur la rue Rachel, au coin de St-Denis, Katia Belkhodja s’amuse avec un petit garçon de 5 ans à peine, fasciné de la voir si souriante. À table, derrière un chocolat chaud, elle dit bonjour aux gens qui passent, qu’elle ne connaît même pas. Les voisins qui travaillent sur leurs ordinateurs lui jettent des regards intrigués. Il faut dire que, pendant près de deux heures, elle parle en riant sans arrêt, tant qu’elle en a les larmes aux yeux. Toujours entre deux émotions, souvent dans le second degré, Katia Belkhodja est une personnalité aussi difficile à cerner que les nombreux personnages de son roman, La Peau des doigts. En la voyant, on repense au début du livre, où la narratrice s’adresse à une très sensuelle Doña, à la bouche pulpeuse et la voix de gamine.

En parallèle

Quand une question semble l’interpeler, elle fige, songeuse : « je ne sais pas d’où elle vient cette histoire. J’avais cette phrase en tête, « j’ai ta lèvre arrachée entre les dents », et je suis partie de ça. » Au fur et à mesure qu’elle se raconte, on reconnaît quelques éléments autobiographiques, la grand-mère kabyle, le garçon rencontré dans le métro, la fille au prénom « tellement beau », Doña. On reconnaît surtout cette façon très particulière de s’exprimer, des phrases courtes, interrompues abruptement, reprises en escalier. Elle approuve l’idée que le lecteur perdu dans le roman finisse finalement par se sentir en osmose avec les personnages. « Eux aussi, ils sont totalement perdus », dit-elle. De pays en pays, chacun se cherche et voit se diluer le lien à ses origines. Katia Belkhodja, elle, se dit Québécoise ou Algérienne, selon ce qui l’arrange. Elle regrette de ne pas savoir parler la langue de son pays d’origine : « je pourrais parler arabe pour sauver ma vie, mais pas plus », dit-elle en riant. La Peau des doigts est une quête de filiation, d’identité, qui passe aussi par la littérature : le jeune Gan se prend de passion pour Marguerite Yourcenar, au point de se poster devant l’Académie Française en espérant la voir. Katia avoue sans complexe que, quand elle a commencé à raconter cette histoire, elle ne savait pas que Marguerite Yourcenar était morte en 1987 ! Plutôt que de modifier ce qu’elle avait déjà écrit, elle décide que son personnage apprendra lui aussi, au milieu du livre, que son idole est décédée depuis 20 ans...

Au fil de la plume

Le roman de Katia Belkhodja est envoûtant, empreint d’une nostalgie diffuse, celle du pays natal perdu au fil des migrations successives de personnages déracinés. Une errance, de l’Algérie à Montréal, en passant par Paris, dans laquelle le lecteur est lui aussi sur le bord de se perdre. Elle raconte volontiers que la première version de son texte était bien plus difficile à suivre. Avec André Vanasse, son éditeur, elle a fait un gros travail pour « rassembler » les multiples histoires qui se croisent. Elle imite, en croisant les mains et avec une voix grave, son éditeur lui demandant de démêler le récit pour le rendre compréhensible : « On ne se souvient plus de ce personnage! Malheureusement, le lecteur n’est pas dans la tête de Katia Belkhodja! ». Après presque un an de travail, le roman est prêt à sortir en librairie le 6 mars.


Quand on lui a demandé si elle avait des idées pour la couverture, Katia a haussé les épaules. Pour elle, il est temps de se détacher de ce projet qu’elle a entamé en 2006. Après dix mois d’une rédaction intermittente, elle hésite longuement avant d’aller le porter chez un éditeur. Poussée par ses proches, elle se décide finalement… Mais, au lieu de tenter sa chance dans plusieurs maisons d’éditions, elle s’en tient à le déposer chez XYZ! « Pourquoi? Parce que, j’aime bien marcher à pied, raconte-t-elle, hilare quand elle réalise l’incongruité de sa réponse, avant de préciser : XYZ c’est la plus proche de Berri-UQAM ». On ne voit toujours pas trop le rapport, mais on n’en saura pas plus. Elle raconte en revanche qu’elle a marché jusqu'à Boréal, mais qu’elle est arrivée après la fermeture. Chez Leméac, elle est ressortie en courant. « Finalement, résume-t-elle en riant, ça a été beaucoup de sport, la publication! ». Quand, cinq mois plus tard, XYZ la rappelle pour la publier, elle était en échange universitaire en Suisse. Le livre a dû attendre, comme l’aboutissement d’une errance, que cette auteure nomade rentre au pays.

Lancement : le 19 mars au pub Quartier Latin.

(cet article sera publié dans Quartier Libre du 12 mars 2008)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

T'es VRAIMENT ma journaliste préférée, toi.