jeudi 6 mars 2008

rencontre avec le créateur des Contes Urbains


Yvan Bienvenue présente, comme tous les ans depuis 1994, une sélection de Contes urbains, des « racontages » écrits cette année par Michel Tremblay, Justin Larramée, Catherine Kidd, Ian Ferrier, Claude Champagne et lui-même. Et pour fêter les 15 ans de son théâtre Urbi et Orbi, les contes sont présentés en bilingue, du 4 au 22 décembre 2007 pour la version française.

Assis face à la rue dans la vitrine du café-boutique Le Placard, au coin Mont-Royal – Lorimier, Yvan Bienvenue ressemble à un Père Noël en blouson de cuir, qui boit son café en regardant passer les gens. « Les Contes Urbains, ça parle des gens d’aujourd’hui, explique-t-il, c’est l’histoire de Valérie, c’est toi, l’étudiante de l’UdeM, qui passe tous les jours devant des places qu’on reconnaît, dans un couloir où il y a une porte qui est barrée depuis des années et en fait c’est une sortie de secours…». Yvan Bienvenue est un conteur intarissable. Il ouvre des parenthèses, perd le fil de sa pensée, se gratte la barbe, et commence à raconter que l’autre jour un môme lui a demandé où il avait parké son traîneau. Ça lui plaît de se voir en Père Noël, et d’ailleurs c’est un peu sa job avec les Contes Urbains : « ce sont des contes sur la ville au moment des Fêtes, donc c’est un peu comme un cadeau de Noël ».


Un nouveau genre
Cette année, les contes seront présentés en deux langues, dans deux théâtres différents : en français à La Licorne et en anglais au Centaur. Une envie qu’il avait depuis longtemps, bien que d’autres compagnies aient déjà fait voyager le concept des Urban tales, parfois sans lui demander son avis, ni lui en reconnaître la paternité : « Pourtant, c’est un nouveau genre, et c’est nous qui l’avons inventé ».
Il disserte volontiers sur l’histoire du conte au Québec : « la tradition orale, au Québec, elle n’existe pas, en tout cas pas de façon spectaculaire. Elle n’a jamais été aussi développée qu’aujourd’hui ». D’où le succès des Contes Urbains, qui lui semblent répondre à un besoin. Ils servent à « aller débusquer quelles sont les figures, les mythes qui nous rassemblent. Pour nous comprendre, qui nous sommes. […] C’est pas Roméo et Juliette, c’est Rémi et Chantal, et Rémi bosse au dépanneur. Il y a Steve qui quête dehors – il fait une pause, et change de registre – d’ailleurs il y en a vraiment trop, les quêteux, ça va pas, il faut faire quelque chose ».
Il avoue être un auteur engagé, « mais engagé ne veut pas dire militant ». Les contes parlent de politique au sens large, de la société, et ils y ont un rôle : « c’est multiculturel, les représentations, et là on s’aperçoit qu’on a tous quelque chose en commun ». Il se demande si, depuis la mort du Grand Antonio, on pourrait trouver des figures fédératrices au Québec. « Céline Dion, peut-être, mais non, parce qu’elle est vide, je veux dire, politiquement – et il rit – là, on parle de n’importe quoi! ». Mais, à la réflexion, c’est bien là le sujet des Contes.

Pour tous les goûts
Mais bien qu’il y ait un « protocole » commun, les « racontages », comme il les appelle, ne se ressemblent pas. Il dit même avoir écrit cette année « un des textes les plus gratuits » qu’il ait jamais présenté, l’histoire d’un type qui doit organiser une soirée et en même temps se débarrasser d’une crotte de nez. « C’est une grosse farce, et en plus, elle sera jouée par Stéphane Jacques, que l’on connaît comme un acteur sérieux. Et l’autre texte que j’ai écrit, plus engagé, sera interprété par Joël Marin, lui aussi à contre-emploi ».
Une performance d’acteur qui surprendra et dont il se réjouit, mais qui est plutôt due aux aléas de l’organisation du spectacle. Cette année, il lui a fallu écrire un conte supplémentaire, au dernier moment, pour remplacer un auteur qui s’était désisté. Il est habitué aux imprévus : lors d’une précédente édition, il avait dû, deux mois avant le spectacle, écrire lui-même la totalité des textes. Maintenant qu’il reconnaît avoir un certain savoir-faire, son principal souci serait de ne pas donner de leçons de morale. Il se définirait plutôt comme un « éthiquiste », inquiet de voir que notre société a cessé de s’émerveiller du monde tel qu’il est, du monde urbain d’aujourd’hui. Ré-enchanter la société, voilà l’ambition de ce Père Noël rock - « je suis pas vraiment rock, plutôt blues », corrige-t-il – que les clients regardent avec curiosité quand un de ses « chums » passe dans la rue et lui adresse un signe amical par la fenêtre du café. On se dit qu’il pourrait bien être un de ces personnages des Contes Urbains, qui nous font aimer le Montréal d’aujourd’hui.
(cet article a été publié dans le journal Quartier Libre, vol15no7)

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