jeudi 6 mars 2008

L’histoire d’un livre, de A comme André Vanasse, à XYZ.

C’est dans un discret condo au coin St Hubert / Ontario. Deux tableaux de Sergio Kokis dans l’entrée indiquent qu’on est chez des amis du peintre-écrivain, l’auteur du Pavillon des miroirs et de l’Art du maquillage. Dans le petit bureau, à l’étage, un troisième tableau du même, le portrait d’un homme mi-sérieux, mi-jovial, derrière ses lunettes et ses piles de livres. C’est lui, André Vanasse, le directeur littéraire des éditions XYZ.

Il dégage un peu de place pour recevoir son visiteur, et on s’assied au coin d’une bibliothèque. Lui, accueillant, devant une tasse de café, est heureux de discuter, et rit volontiers. Cet ancien professeur en création de l’UQAM, qui a trouvé le prolongement naturel de son métier dans l’édition, s’intéresse à tout, de l’origine de son nom à mon sujet de mémoire, en passant par les campagnes anti-tabac. De même, dans son métier : il se dit ouvert à toutes sortes d’imaginaires, des plus réalistes aux plus tortueux : l’essentiel est que l’histoire le prenne.
XYZ, jeune maison d’édition, s’est fait une place parmi les grandes du Québec, et une flateuse réputation de découvreuse de talents. « je ne fais pas de démarchage [auprès des auteurs déjà reconnus, ndlr], affirme André Vanasse, ceux qui veulent venir, ils viennent, sinon… ». Les volontaires ne manquent pas : entre 400 et 500 manuscrits arrivent tous les ans sur le bureau du directeur littéraire, qui est « son seul lecteur ».
À l’écouter, la sélection des manuscrits se fait assez facilement : ce qu’il recherche avant tout, c’est d’être saisi et surpris par l’histoire – si on est capable de deviner la suite de l’histoire, de la phrase, c’est non. Il recherche avant tout des textes qui se démarquent de leur horizon d’attente. C’est pourquoi il a volontairement décidé de ne pas publier de textes de para-littérature : il avoue ne pas s’y connaître suffisamment pour évaluer l’originalité d’un texte.

Travailler les macrostructures
Une fois le manuscrit sélectionné, le travail commence : André Vanasse se donne comme mission de peaufiner les « macrostructures » : faire en sorte que le lecteur ne soit pas perdu, d’abord. Pour cela, il a des techniques toutes simples : rappeler qui sont les personnages en les identifiant d’un signe : « si on a déjà parlé de Valérie quatre chapitres avant, il faut donner un indice, une boucle d’oreille, ou une coupe de cheveux, pour que le lecteur fasse le lien ». Deuxième impératif : donner une cohérence à l’ensemble, faire qu’il n’y ait pas de discordance : selon lui, si l’on commence d’une certaine façon, il faut maintenir le ton et l’esprit de l’histoire. Quand on lui fait remarquer que, dans Histoire de Pi, le best-seller de la maison, le passage sur l’île ensorcelée relève peut-être de ces fantaisies de l’auteur qui déroutent le lecteur, il l’admet en riant. Il avoue même que si cela n’avait tenu qu’à lui, il l’aurait sans doute fait changer.

André Vanasse se montre attentif à respecter le style propre de chaque auteur, et se défend de formater les romans qu’il sélectionne : ainsi, parmi ceux qu’il s’apprête à publier, l’un suit une progression linéaire, alors qu’un autre est plus dispersé : il dit s’appliquer à mettre en valeur le style propre de chacun. En tant qu’éditeur, il se donne comme rôle de faire le lien entre l’auteur – qui, vivant avec ses personnages depuis très longtemps, peut ne pas voir certaines difficultés qui se posent à la première lecture – et le lecteur.

Un lecteur-créateur de chefs-d’oeuvre
S’il se défend d’écrire le livre à la place de l’auteur, il ne cache pas retravailler les textes qu’on lui propose en profondeur, en collaboration avec l’écrivain. Au point, une fois, de faire réécrire quasiment tout le livre à un auteur dont il « n’aimait pas le style, très amphatique ». L’écrivain, dont il tait le nom, voulait absolument travailler avec lui, et a accepté de refondre son texte : « il est passé, pour moi, de zéro à l’absolu », confie André Vanasse. Le succès du livre, qui a décroché un prestigieux prix littéraire, lui a, comme souvent, donné raison.
Et si un auteur ne veut pas qu’on le corrige? « Pas de problème, s’exclame t-il en faisant un geste vers la porte : vous ne voulez pas qu’on touche au texte, très bien, on n’y touchera pas, on ne va même pas l’éditer ».

André Vanasse voit un lien direct entre son ancien métier de professeur de création et celui d’éditeur. À l’Uqam, il a eu comme élève des écrivains aujourd’hui reconnus, comme Élise Turcotte ou Lise Tremblay, qu’il regrette de ne pas avoir pu garder chez XYZ. « Lise Tremblay m’a dit que je lui faisais peur », avoue-t-il en pouffant de rire, se demandant s’il pouvait sérieusement faire peur à quelqu’un. Mais, en général, ses remarques sont bien reçues – et même recherchées – par ses auteurs. L’exigence est même sa marque de fabrique : ainsi, il se refuse à écrire « premier roman », comme si on se condamnait ainsi à n’écrire qu’un brouillon prometteur pour le suivant. « Non, on écrit : un roman », ce qui implique de mener le travail aussi loin que possible. Le progrès accompli entre le premier manuscrit et le texte final est sa plus grande satisfaction.
Cependant, il y a bien des auteurs qu’il ne retouche pas : Sergio Kokis, qu’André Vanasse qualifie sans hésiter de plus grand auteur de la maison, a selon lui « suffisamment de savoir-faire », et « il apprend avec une rapidité telle » qu’on n’a aujourd’hui plus rien à redire aux manuscrits qu’il envoie.

Écouter cet éditeur parler des auteurs qu’il a publié ne laisse pas de doute sur son amour pour la littérature québécoise. « On a des écrivains formidables, ici », dit-il en regrettant que la France ne montre pas plus d’intérêt pour les co-éditions : « c’est une mentalité coloniale », accuse-t-il. D’où la difficulté de faire vivre une maison d’édition. Les subventions sont vitales, avoue-t-il, et les salaires deux fois inférieurs à ceux des professeurs. Cependant, il ajoute en riant, pour ne pas laisser penser une seconde qu’il regrette son choix : « on ne fait pas ça pour gagner de l’argent! C’est ma passion ». Pour ses œuvres fétiches, il cite immédiatement La rivière du loup, d’Andrée Laberge, qu’il raconte avec enthousiame et décrit comme un chef d’œuvre. Sergio Kokis s’attire mille compliments admiratifs.
Quand il travaille dans son bureau, André Vanasse fait face au portrait que ce prestigieux auteur lui a dédié : la boucle est ainsi bouclée, autour de cet amoureux de la lecture, accoucheur de talents, et sujet d’inspiration, pour toute une famille d’écrivains signés XYZ.

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